Article publié le 16 juin 2023

Extrait de l’article « Extension de l’Empire de l’Union européenne : l’exemple ukrainien »

Il est maintenant proposé de revenir sur la logique d’extension de l’Empire de l’Union européenne et voir quelle stratégie a été adoptée pour absorber l’Ukraine, une « conquête » ne reposant certes pas sur la force mais, grâce à la Politique européenne de voisinage (PEV) et au Partenariat oriental (PO), sur des facteurs économiques, juridiques et ultimement politiques pour faire adhérer l’Ukraine à l’Empire de l’Union européenne. Choisissant un Empire plutôt qu’un autre, les Ukrainiens restent attachés à ce modèle dans une Ukraine qui fut historiquement une terre d’Empire. Le rôle de l’Alliance atlantique sera précisé tant il semble que la confusion règne souvent sur ce point dans le cas ukrainien. C’est à cet exercice de réflexion que s’attache l’article Extension de l’Empire de l’Union européenne : l’exemple ukrainien disponible sur le site francelibrevraieeurope.fr.

Un premier article nommé Ukraine : Vers un nouvel affrontement des Empires ? a été publié le 12 mars 2022, quelques jours après le lancement par la Fédération du Russie d’une opération militaire de grande envergure en Ukraine. Comme le démontrait cet article, la Nation ukrainienne a développé une identité propre au cours des siècles mais cet espace de transition, cette « marche », fut bien souvent la proie des Empires à l’image de l’Empire russe, de l’Empire français de Napoléon ou bien de l’Empire ottoman. Depuis la publication de cet article, trois gazoducs sur quatre du système de transport Nord Stream ont été sabotés à la suite d’une action sous-marine clandestine dont il est difficile de penser que le soutien d’un État n’ait pas été nécessaire. Répondant à la question posée par des lecteurs, l’article nommé Les États-Unis d’Amérique et la Chine sont-ils des Empires ? publié le 12 mai 2022 a démontré que les États-Unis ne sont pas un Empire, que la Chine en est théoriquement un puisqu’elle sépare la citoyenneté de la nationalité mais que l’écrasante majorité de Hans en fait plutôt une Nation. Il est maintenant proposé de revenir sur la logique d’extension de l’Empire de l’Union européenne et voir quelle stratégie a été adoptée pour absorber l’Ukraine, une « conquête » ne reposant certes pas sur la force mais, grâce à la Politique européenne de voisinage (PEV) et au Partenariat oriental (PO), sur des facteurs économiques, juridiques et ultimement politiques pour faire adhérer l’Ukraine à l’Empire de l’Union européenne. Choisissant un Empire plutôt qu’un autre, les Ukrainiens restent attachés à ce modèle dans une Ukraine qui fut historiquement une terre d’Empire. Le rôle de l’Alliance atlantique sera précisé tant il semble que la confusion règne souvent sur ce point dans le cas ukrainien. C’est à cet exercice de réflexion que s’attache l’article Extension de l’Empire de l’Union européenne : l’exemple ukrainien disponible sur le site francelibrevraieeurope.fr.

Les grandes caractéristiques des Empires

Pour les lecteurs qui n’auraient pas eu la possibilité de lire La Nation face à l’Empire[1], ouvrage publié par l’auteur début 2021, de lire les articles maintenant publiés aux Presses universitaires Rhin & Danube ou bien d’écouter les conférences données par l’auteur et disponibles sur le site du mouvement France Libre Vraie Europe (www.flve.fr), les Empires partagent, au-delà du gouvernement commun à plusieurs Peuples et Nations, quelques grandes caractéristiques. La première est leur logique d’expansion à l’image de l’Empire Mongol en Asie, de l’Empire perse au Levant, de l’Empire du Mali en Afrique, de l’Empire inca en Amérique ou de l’Empire soviétique sur le continent eurasien. La deuxième caractéristique est leur besoin d’être idolâtrés. Dans l’Empire romain, l’Empereur est ainsi adoré comme un dieu. Les chrétiens y étaient persécutés non pour leur foi mais parce qu’ils refusaient d’adorer l’Empereur. Les Empires demandent en effet à être idolâtrés pour durer. La troisième caractéristique est leur tendance à confondre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel et par conséquent leur pente naturelle vers le totalitarisme à l’image de l’Empire byzantin ou des Empires islamiques. La quatrième caractéristique est leur citoyenneté commune puisque, arrivés à un certain stade de maturité, les Empires dotent généralement les pays conquis d’une citoyenneté commune. Dans l’Empire romain, c’est l’édit de Caracalla de 212, appelé Constitution antonine, qui donne la citoyenneté impériale. Plus proche de nous, dans l’Union soviétique, la citoyenneté soviétique est donnée aux citoyens de l’Empire. La cinquième caractéristique est enfin, après leur naissance et leur développement, leur chute.

 

La nature impériale de l’Union européenne

Les grandes caractéristiques des Empires étant rappelées, il convient de démontrer maintenant que l’Union européenne en est un. Comme un Empire, l’Union européenne est un gouvernement commun à plusieurs Peuples et Nations, et ce depuis l’embryon de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951, puis Euratom et la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, l’Union européenne en 1992 et enfin le traité de Lisbonne en 2007 qui donne une constitution à l’Empire (un quasi « copié collé » du projet de constitution refusé par les Français et les Néerlandais en 2005). Comme un Empire, l’Union européenne est dans une logique d’extension territoriale. Pensons aux candidatures formelles de la Turquie, de l’Albanie ou de l'Ukraine par exemple. Comme un Empire, l’Union européenne demande à être idolâtrée à l’exemple de la « construction européenne » à laquelle il est demandé de croire comme si elle était une divinité. Comme un Empire, l’Union européenne est porteuse d’une idéologie généralement traduite par une « mission universaliste et une promesse d’éternité »[2] pour reprendre l’expression d’un ouvrage collectif dirigé par l’historien Jean Tulard. Comme un Empire, l’Union européenne a créé une citoyenneté impériale avec le traité de Maastricht qui donne la citoyenneté commune aux membres de l’Empire. Il convient cependant de noter que si le premier gouvernement supranational nait avec la CECA en 1951, c’est le traité de Maastricht qui donne juridiquement la citoyenneté de l’Empire de l’Union européenne à tous les ressortissant des Nations qui y appartiennent.

 

L’extension de l’Empire de l’Union européenne jusqu’au Brexit

Conséquence de la construction dite « européenne », le premier noyau issu du traité de Rome signé en 1957 rassemblait l’Allemagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas. Le traité de Bruxelles ajouta à la Communauté économique européenne l’Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark en 1973. Le traité d’Athènes en 1981 y adjoignit la Grèce puis le traité de Madrid-Lisbonne en 1986 l’Espagne et le Portugal. Ce fut ensuite au tour de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède de rejoindre l’Union européenne avec le traité de Corfou en 1995. Un grand élargissement intégra la Slovaquie, Chypre, Malte, la Pologne, la Lituanie, la Tchéquie, la Lettonie, la Hongrie, l’Estonie et la Slovénie en 2004 avec le traité d’Athènes. La Bulgarie et la Roumanie en 2007 puis la Croatie portèrent en 2012 le nombre de Nations membres de l’Empire de l’Union européenne à vingt-huit avant que le Brexit ne ramène ce nombre à vingt-sept en retirant un de ses membres éminents qui n’était cependant pas rentré dans l’Espace Schengen ni fondu dans la zone euro. De nombreux pays sont encore candidats à l’entrée dans l’Empire de l’Union européenne dont le plus ancien et peut-être le plus emblématique est la Turquie (1987) mais aussi un certain nombre de pays comme l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie et plus récemment l’Ukraine dont la candidature a été reconnue après l’invasion russe. Il convient de noter que certaines candidatures n’ont pas encore été reconnues à l’image de la Géorgie et du Kosovo tandis que certains États ont retiré la leur comme la Norvège, la Suisse ou l’Islande.

 

La Politique européenne de voisinage (PEV) : outil d’extension de l’Empire de l’Union européenne

Le site officiel du Parlement européen précise que « la politique européenne de voisinage (PEV) s’applique à l’Algérie, à l’Arménie, à l’Azerbaïdjan, à la Biélorussie, à l’Égypte, à la Géorgie, à Israël, à la Jordanie, au Liban, à la Libye, à la Moldavie, au Maroc, à la Palestine, à la Syrie, à la Tunisie et à l’Ukraine. Elle a pour but de renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité de tous et s’appuie sur les valeurs qui sont celles de la démocratie, de l’état de droit et du respect des Droits de l'homme. C’est une politique bilatérale entre l’Union et chaque pays partenaire, qui s’accompagne d’initiatives de coopération régionale : le partenariat oriental et l’Union pour la Méditerranée »[3]. La PEV s’appuie sur l’article 8 du traité sur l’Union européenne qui précise que « l'Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d'établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l'Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération ». Cette dernière « peut conclure des accords spécifiques avec les pays concernés. Ces accords peuvent comporter des droits et obligations réciproques ainsi que la possibilité de conduire des actions en commun ». La commission de l’Union européenne a mis en place la PEV en 2003, juste avant la grande extension de 2004. Si celle-ci ne propose pas une perspective d’élargissement formel, elle peut le préparer comme cela fut le cas pour l’Ukraine.

 

La logique libérale de la Politique européenne de voisinage (PEV)

À défaut de perspective d’adhésion claire ou d’intégration formelle, la PEV repose sur la recherche d’une interdépendance plus grande entre l’Empire de l’Union européenne et l’État partenaire. Pour ce faire, « la PEV s’appuie sur les accords juridiques existant entre l’Union et ses partenaires, à savoir les accords de partenariat et de coopération et, plus récemment, les accords d’association. Les plans d’action bilatéraux et les priorités de partenariat élaborés entre l’Union et la plupart des pays partenaires constituent l’élément central de la PEV. Ces plans d’action établissent des programmes de réforme politique et économique assortis de priorités à court et à moyen terme (trois à cinq ans). Les plans d’action et les priorités de partenariat relevant de la PEV reflètent les besoins, les intérêts et les capacités de l’Union et de chaque partenaire. Ils visent à instaurer des sociétés démocratiques, socialement équitables et solidaires, ainsi qu’à promouvoir l’intégration économique et à améliorer la mobilité transfrontalière des personnes. (…) En outre, des outils ont été élaborés dans le cadre de la PEV pour promouvoir l’accès au marché, notamment par la négociation de zones de libre-échange approfondi et complet, ainsi que pour renforcer la mobilité et la gestion des migrations. À ce titre, des partenariats de mobilité et des accords d’assouplissement et/ou de libéralisation en matière de visas ont été conclus avec certains partenaires, tandis qu’un instrument financier spécifique — la facilité des partenariats pour la mobilité — a été lancé en 2016 »[4]. Il est évident que la PEV permet de préparer les pays candidats à la mise en place des quatre libertés issues du Marché unique créé par le traité de Rome en 1957, soit la liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Sur le plan pratique, c’est la commission européenne qui dirige la PEV. Les États qui s’engagent avec l’Union européenne sont généralement volontaires, du moins les gouvernements en place, pour l’intégrer. C’est particulièrement net dans le cas de l’Ukraine et peut-être la raison pour laquelle la Russie, considérant qu’elle n’était pas comparable aux autres États de la PEV, n’avait pas voulu rejoindre cette initiative.

 

Le Partenariat oriental (PO)

En 1995, le Partenariat Euromed ou Processus de Barcelone avait été conçu comme un cadre de coopération entre l’Union européenne et douze États méditerranéens dont l’Algérie, Chypre et Malte (maintenant dans l’Union européenne), l’Autorité palestinienne, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Syrie (coopération aujourd’hui suspendue), la Tunisie et la Turquie. La PEV mise en place après le Partenariat Euromed a permis d’approfondir ce dernier. Créée en 2008 et comptant quarante-trois Nations membres, l’Union pour la Méditerranée[5] (UpM) complète la PEV. Dans le sillage du Processus de Barcelone, son Secrétariat se trouve aussi à Barcelone. À l’Est, rassemblant l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la République de Moldavie et l'Ukraine, c’est le Partenariat oriental[6] (PO) qui incarne la PEV depuis 2009. Épousant largement les frontières de la Fédération de Russie, le PO a fait craindre à la Russie un véritable encerclement. Négocié à partir de 2007, un accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine fut finalisé en 2012 pour remplacer le précédent Accord de partenariat et de coopération (APC). Devant être signé en 2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovytch avait finalement refusé de signer, provoquant des manifestations pro-Empire de l’Union européenne connues sous le nom de l’Euromaïdan et l’exil du président en Russie. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que Victor Ianoukovytch avait dix ans plus tôt gagné l’élection présidentielle mais des soupçons de fraude avaient conduit à de grandes manifestations à Kiev, retenues sous le nom de Révolution orange, et à une nouvelle élection qui avait vu cette fois-ci la victoire de son opposant Viktor Iouchtchenko soutenu par la très iconique Ioulia Tymochenko devenue Première ministre de ce dernier. La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne fut en tous cas l’étincelle qui lança la révolte de l’Euromaïdan.

 

L’intégration énergétique de l’Ukraine dans l’Empire de l’Union européenne

Le transport du gaz russe par l’Ukraine a provoqué de nombreuses tensions ayant entre autres pour cause le coût de transit du gaz russe transporté par l’Ukraine et à destination de l’Europe centrale et occidentale. Les négociations entre la société russe Gazprom et la société ukrainienne Naftogaz ont néanmoins pu aboutir à plusieurs accords. Il convient de préciser avant d’aller plus loin que l’Ukraine a de réelles capacités de production de gaz grâce à un sous-sol riche mais que la recherche et l’exploitation de ces hydrocarbures ont été rendues difficiles, notamment pour les sociétés occidentales, par le manque de transparence dans les affaires. Dans le but d’arrimer plus fortement l’Ukraine à l’Union européenne, il fut décidé de multiplier les interconnexions gazières d’une part mais aussi de permettre une inversion des flux de gaz afin de pouvoir injecter du gaz dans le réseau de transport ukrainien par l’ouest et par le nord dans le cas où la Russie cesserait d’approvisionner son voisin occidental. Ces flux inversés ou Reverse Flows ont permis à l’Union européenne d’approvisionner l’Ukraine tout en permettant aux sociétés négociantes de gaz ou utilities européennes capables de le faire de générer de grands profits. Plusieurs pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne et situés sur un axe nord-sud se sont regroupés à partir de 2016 au sein de l’Initiative des trois mers (pour faire référence à la mer Baltique, à la mer Adriatique et à la mer Noire) avec notamment pour objectif de densifier les infrastructures et ajouter de la souplesse aux systèmes énergétiques dans le but par exemple de fluidifier les mouvements de gaz. Cette intégration des réseaux de gaz et d’électricité ukrainiens est une des raisons de l’arrimage toujours plus grand de l’Ukraine à l’Empire de l’Union européenne.

 

L’intégration politique de l’Ukraine dans l’Empire de l’Union européenne

En 2005, deux jours après son investiture, le président Viktor Iouchtchenko indiquait dans un discours prononcé devant les parlementaires réunis à Strasbourg que « notre objectif stratégique est l'adhésion à l'Union Européenne »[7]. Rappelant « dans ce contexte les dispositions de l'article 49 du traité sur l'Union européenne, qui prévoient que tout État européen qui respecte les conditions et obligations énoncées a la possibilité de devenir membre de l'Union européenne »[8], le Parlement « espère une transition conséquente en Ukraine, qui rapprocherait le pays de cet objectif, et s'engage à aider et à soutenir l'Ukraine dans ce processus »[9]. Victor Ianoukovytch, le même qui avait été déchu de l’élection de 2004, devint Président de l’Ukraine en 2010 mais dut s’exiler en la Russie en 2014 pour avoir refusé de signer l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Empire de l’Union européenne, une décision qui provoqua les manifestations pro-Empire de l’Union européenne de l’Euromaïdan.  L’homme d’affaires Petro Porochenko, ayant les faveurs de la Commission européenne, lui succéda en juin 2014 et signa ce même mois le dernier volet de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Volodymyr Zelensky, actuel Président de l’Ukraine, lui succéda en 2019. L’acteur de la série prémonitoire Serviteur du peuple avait justement joué le rôle d’un quidam ayant accédé à la présidence ukrainienne. C’est d’ailleurs dans un épisode de cette série qu’Angela Merkel appelle Volodymyr Zelenski pour lui dire « Hello, my congratulations, we decided to take your country to the European Union », littéralement « Bonjour, bravo, nous avons décidé de prendre votre pays dans l’Union européenne », voyant le Président éclater de joie à l’idée de voir son pays rejoindre l’Empire de l’Union européenne (il s’agit dans la série d’un quiproquo puisque la chancelière allemande pensait appeler le Monténégro). Quelques jours après l’invasion russe de février 2022, c’est l’Allemande Ursula von der Leyen qui reçoit les demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie. Le Parlement européen reconnut finalement au mois de juin 2022 les candidatures d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie à l’Union européenne (la candidature d’adhésion de la Géorgie n’a cependant pas été acceptée).

 

Partition d’États souverains dans les espaces des anciens Empires yougoslave et soviétique

De manière assez concomitante avec la reconnaissance de la partition de la Serbie et la reconnaissance de l’État du Kosovo en 2008, Vladimir Poutine sembla peu à peu renoncer à ses appels au respect du droit international qui était le principe qu’il défendait jusqu’alors. La première démonstration fut celle de l’intervention militaire en Géorgie, sans approbation du Conseil de sécurité de l’ONU, suivie de la reconnaissance des républiques d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Ce fut ensuite la reconnaissance de la Crimée en 2014 et enfin, quelques jours après le lancement d’une opération militaire d’envergure, la reconnaissance des républiques de Donetsk et de Lougansk. Si de nombreux hommes politiques, diplomates et militaires reconnaissent en privé et parfois en public que la partition de la Serbie a probablement désinhibé le gouvernement de la Fédération de Russie, les multiples reconnaissances d’indépendance par la Fédération de Russie, élargissant de facto l’Empire russe, sont contestables sur le plan du droit international. L’avenir dira comment la situation pourra se régler. Le point commun des reconnaissances de ces nouveaux États, Kosovo compris, est qu’ils sont le fruit de conflits territoriaux conséquents au démembrement d’Empires, qu’il s’agisse de l’Empire yougoslave ou de l’Empire soviétique.

 

L’Alliance atlantique, une organisation politique d’une autre nature que l’Empire de l’Union européenne

En 1994, le Mémorandum de Budapest avait permis à l’Ukraine, à l’instar de la Biélorussie et du Kazakhstan, d’obtenir le respect de son intégrité territoriale de la part des Américains, des Anglais et des Russes en échange de l’abandon de l’arsenal nucléaire qui y était présent. Cette même année, l’Ukraine et la Russie avaient rejoint le Partenariat pour la paix qui associe plusieurs États à l’OTAN. Un conseil OTAN-Russie (CoR), suspendu à ce jour, avait été mis en place en 2002. En 2004, plusieurs pays inclus dans l’ancienne URSS ou dans son orbite avaient rejoint l’OTAN.  Le 18 février 2007, à l’occasion de la cinquante-huitième conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir Poutine indiquait officiellement que l’extension de l’OTAN était perçue par les Russes comme une menace, lui semblant que « l’élargissement de l’Otan n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé »[10]. En filigrane, il semblait clair pour la Fédération de Russie que les États-Unis, via l’OTAN, continuaient d’appliquer, même après la Guerre froide, la stratégie de « containment » ou « endiguement » inaugurée en 1947 à l’issue du « Long télégramme » du diplomate George F. Kennan pour réduire l’influence de la Russie. C’est en 2008, à l’occasion du Sommet de Bucarest, que l’OTAN « se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN. (…) Le MAP représente, pour ces deux pays, la prochaine étape sur la voie qui les mènera directement à l’adhésion »[11]. Si les Plans d’actions pour l’adhésion (MAP) sont mentionnés, l’adhésion concrète est reportée. En revanche, l’OTAN précise que « depuis le sommet de Varsovie, en juillet 2016, le soutien pratique apporté à l'Ukraine s'inscrit dans un ensemble complet de mesures d'assistance (CAP) en faveur du pays. (…) En complément du CAP, plusieurs fonds d'affectation spéciale ont été mis en place depuis 2014. Ils fournissent des ressources à l'appui du développement capacitaire et du renforcement durable des capacités dans des domaines clés »[12]. Si l’Alliance atlantique est une organisation politique avec un volet militaire et que l’OTAN fournit de l’aide à l’Ukraine, il convient une fois de plus de préciser que l’OTAN n’a rien à voir avec un gouvernement supranational, le propre d’un Empire. Il est en effet possible pour un membre de l’OTAN de définir son niveau d’implication voire de quitter le commandement militaire intégré sans pour autant quitter l’organe politique de l’Alliance comme l’avait fait le général de Gaulle pour la France en 1966, restant cependant fidèle aux Alliés et à la coopération Atlantique. Il est aussi possible, comme le décida Nicolas Sarkozy en 2008, de rejoindre l’organisme militaire intégré sans pour autant faire partie du Groupe des plans nucléaires (NPG), le véritable cœur de l’OTAN. L’Alliance atlantique ne décide pas de la politique des États qui la constituent, contrairement à l’Empire de l’Union européenne qui a les caractéristiques propres à celles d’un État puisqu’elle a en premier lieu la prérogative régalienne de faire les lois que les pays membres sont ensuite chargés de transcrire dans leur droit national, en deuxième lieu la prérogative régalienne de rendre la justice et en troisième lieu la prérogative, pour les Nations membres de la zone euro, de battre la monnaie. L’Empire de l’Union européenne a depuis peu la dernière prérogative régalienne qui lui manquait, celle de faire la guerre et de la financer via la Facilité européenne pour la paix partie de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

 

Conclusion : Ukraine, d’un Empire à l’autre

L’Ukraine avait été temporairement indépendante de 1917 à 1922 mais s’était retrouvée prisonnière de l’Empire soviétique jusqu’à la dissolution du Pacte de Varsovie. Un référendum avait alors largement montré la volonté d’indépendance des Ukrainiens. Ancienne terre d’Empire, le sentiment d’appartenance des citoyens de l’État ukrainien montraient que certains se sentaient uniquement ukrainiens, uniquement russes et parfois les deux à la fois. Si l’Ukraine est redevenue souveraine en 1991, ce ne fut pas pour rester libre et indépendante mais pour choisir un autre Empire, celui de l’Union européenne, comme alternative à l’Empire russe. Il n’est pas ici question de porter un jugement de valeur sur ce choix mais plus d’en tirer un enseignement qui est qu’une majorité d’ukrainiens semble rester favorable au modèle de l’Empire. La Politique européenne de voisinage (PEV) et le Partenariat oriental (PO) furent des moyens efficaces pour faire avancer le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’Empire de l’Union européenne mais c’est le déclenchement des opérations militaires russes au mois de février 2022 qui a accéléré et conduit à la candidature officielle de l’Ukraine. Plus que le processus destiné à faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, il convient de noter que les crises politiques ukrainiennes des dernières années furent directement corrélées aux négociations liées à la PEV et au PO. Force est en tous cas de constater que le processus destiné à préparer l’adhésion de l’Ukraine à l’Empire de l’Union européenne semble avoir davantage accouché de troubles qu’apporté la paix. Le Président François Mitterrand disait en 1995 au Parlement de l’Empire de l’Union européenne, la « diète de Strasbourg », que « le nationalisme, c’est la guerre ». Si cela fut pour certains le cas lorsque la Première République française organisa le génocide des catholiques en Vendée au nom du nationalisme républicain, même si cela est contestable tant il s’agissait d’une guerre religieuse, l’Être suprême et la déesse Raison prenant la place du Dieu de Jésus-Christ, ce n’est que très rarement que le « le nationalisme, c’est la guerre ». La guerre est le corollaire de l’impérialisme, de l’extension d’un Empire qui veut soumettre d’autres Peuples et Nations à son pouvoir comme le prouvèrent si souvent les opérations de conquête des Empires de l’histoire. En effet, la vérité historique n’est pas : « le nationalisme, c’est la guerre », mais « l’impérialisme, c’est la guerre »[13].

 

Emmanuel Lynch, ingénieur, économiste et historien de formation, auteur de La Nation face à l’Empire (ML Éditions, 2021), fondateur du mouvement France Libre Vraie Europe, auditeur de l’Institut des hautes études de Défense nationale.

 

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[1] LYNCH, Emmanuel, La Nation face à l’Empire, Paris, ML Éditions, 2021, rééd. 2022.

[2] VAN REGEMORTER, Jean-Louis in TULARD, Jean, Les empires occidentaux, de Rome à Berlin, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p 140.

[3] www.europarl.europa.eu.

[4] www.europarl.europa.eu.

[5] ufmsecretariat.org

[6] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eastern-partnership/

[7] Article Iouchtchenko en visite en Europe in Le Nouvel Observateur, 4 février 2005 www.nouvelobs.com/monde/20050125.OBS7060/iouchtchenko-en-visite-en-europe.html.

[8] Résolution du Parlement européen sur les résultats des élections en Ukraine, 13 janvier 2005, https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-6-2005-0009_FR.html

[9] Résolution du Parlement européen sur les résultats des élections en Ukraine, 13 janvier 2005, https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-6-2005-0009_FR.html

[10] www.francetvinfo.fr

[11] www.nato.int

[12] www.nato.int

[13] LYNCH, Emmanuel, La Nation face à l’Empire, Paris, ML Éditions, 2021, rééd. 2022, p 128.